Nous avons appris que, pour soutenir votre campagne électorale, vous avez invité Jeremy Corbyn. Vous ne pouvez ignorer la gravité des reproches qui lui ont été faits ces dernières années concernant son positionnement vis-à-vis de propos et d’actes antisémites au sein du Parti travailliste.

Sous sa direction, ce parti a connu un déferlement de la parole antisémite, souvent sous couvert d’un soutien dévoyé au peuple palestinien. Or, la direction du Parti travailliste a laissé faire, diverses enquêtes le montrent, notamment celle réalisée en 2021 par la Commission indépendante Equality and Human Rights. Celle-ci a conclu, exemples concrets à l’appui, à l’existence de nombreux actes de harcèlement ou discrimination à l’égard de membres juifs du Parti travailliste dirigé par Jeremy Corbyn, les qualifiant « d’actes illégaux ». C’est parce qu’il a contesté les conclusions de ce rapport indépendant que Corbyn a été provisoirement suspendu du parti travailliste fin 2020 et sanctionné d’une mise à l’écart de son groupe parlementaire, qui perdure actuellement.

De plus, il est erroné d’affirmer comme vous le faites que Jeremy Corbyn n’a jamais été accusé directement d’antisémitisme. Car il a justifié des expressions antisémites et a lui-même tenu des propos ambigus quant à l’antisémitisme. Ainsi il a publiquement soutenu en 2012 une fresque murale à Londres qui était caricaturalement antisémite. Sous la pression de députés et militants travaillistes, il a fini par reconnaître en 2018 qu’il avait effectivement eu tort d’apporter son soutien à l’auteur de cette fresque antisémite. En 2018, il a accusé de manière ambiguë les « sionistes » de son pays de ne pas avoir le « sens de l’ironie » national, et il a ainsi essentialisé une partie (à l’extension indéterminée) au moins des Juifs en sous-entendant qu’ils n’étaient pas des citoyens britanniques à part entière.

Les réponses que vous donnez aux légitimes questionnements à propos de cette invitation nous inquiètent également.

Vous considérez qu’il est impossible de critiquer la politique israélienne sans se faire traiter d’antisémite. C’est une formulation utilisée depuis des années par une partie de la gauche pour refuser de condamner des propos et positionnements qui utilisent la dramatique situation du peuple palestinien pour distiller des messages antisémites. Par ailleurs, et c’est un autre argument employé à satiété depuis vingt ans, vous expliquez que c’est la droite et les puissants qui utilisent la dénonciation de l’antisémitisme afin d’attaquer la gauche radicale. Cela renvoie les Juif/ves dans le camp des puissants de ce monde, celui de la réaction : ces propos sont inacceptables. Ces diverses argumentations ont servi à relativiser l’antisémitisme, dont le renouveau depuis le début des années 2000 a tué au moins 12 personnes dans ce pays.

D’autre part, vous utilisez le terme « cabale » pour dénoncer celles et ceux qui se sont élevé.es et continuent de le faire contre les dérives à gauche, celles de Corbyn couvrant l’antisémitisme au sein du Parti travailliste ou celles de Jean-Luc Mélenchon parlant en 2019 de « génuflexion devant les oukazes arrogants des communautaristes du CRIF » et récusant l’existence d’actes antisémites dans le Parti travailliste. Nous sommes atterré.es de l’utilisation par des responsables de la gauche de termes connotés comme relevant de l’antisémitisme et du conspirationnisme les plus traditionnels.

Nous considérons inappropriée et éminemment contestable l’invitation faite à un cet ancien dirigeant du Parti Travailliste qui a montré, à plusieurs reprises, son inconséquence et son refus d’agir contre l’antisémitisme.
Notre mouvement, créé en janvier 2021, se donne pour but d’agir contre l’antisémitisme et tous les racismes, d’où qu’ils viennent. Pour ce faire, il se propose d’agir afin que la gauche s’engage pleinement dans le combat contre l’antisémitisme. A un moment où la gauche redevient un espoir, il serait dramatique qu’elle refuse de prendre ses responsabilités dans ce domaine et qu’elle choisisse ce faisant d’ignorer les angoisses des Juif/ves de France. Elle se condamnerait à vivre ce qui est arrivé au Parti travailliste.
Nous souhaitons que vous preniez en compte notre démarche en reconnaissant que cette invitation était une erreur. Nous vous demandons également de cesser d’inviter des personnalités porteuses de controverses et d’ambiguïtés sur la lutte contre l’antisémitisme, qui est une des dimensions du combat antiraciste.

Nous sommes disponibles pour discuter de ces questions avec vous.