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Un immigré nommé Missak Manouchian

Le 21 février prochain, Missak et Mélinée Manouchian entreront au Panthéon. Nous nous félicitons de cette reconnaissance, mais force est de constater qu’ « en même temps » la loi Darmanin contre les migrant·es est votée avec le soutien du Rassemblement national, héritier des fascistes du XXème siècle qui envoyèrent à la mort Manouchian et ses camarades. Pour nous, c’est l’occasion de rappeler ce que furent les combats de ces immigré·es et de dire leur actualité, alors que les périls d’hier se profilent à nouveau. De parler, non seulement de Manouchian, mais aussi de ses camarades, qu’il aurait été bon d’associer dans la célébration, comme ils et elle le furent dans la mort (une pétition le réclamait d’ailleurs).

Parce qu’à prononcer leurs noms sont difficiles…

Les nazis avaient, on le sait, recherché « un effet de peur sur les passants » par la diffusion massive de l’Affiche Rouge, indiquant que le groupe Manouchian était composé d’étrangers, souvent juifs. On sait aussi que, en février 1944, moment où l’exaspération contre l’occupant montait, en même temps que se dessinait la perspective de la Libération, la manœuvre des nazis fit long feu.

Les 23 (22 hommes fusillés le 21 février 1944 et Olga Bancic, décapitée en Allemagne le 10 mai 1944) étaient des militant·es antifascistes et internationalistes, communistes ou sympathisant·es pour la plupart, membres des FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans – Main d’œuvre immigrée, organisation du Parti communiste). Certains avaient combattu en Espagne contre le fascisme, d’autres étaient trop jeunes pour cela, mais étaient menacé·es de mort parce que juif/ves (7 des 10 de l’Affiche rouge l’étaient). Mélinée, la compagne de Missak Manouchian avait perdu son père dans le génocide arménien déclenché à partir de 1915, elle devait perdre son mari, assassiné par les nazis : un résumé tragique de l’histoire du XXème siècle. Ces militant·es combattaient aussi pour une France rêvée, celle issue de la Révolution française et du soutien au capitaine Dreyfus, contre la France de Vichy.

Ayant réalisé de nombreux attentats, notamment contre des officiers allemands, ils et elle furent traqué·es par les policiers français et finalement arrêté·es en novembre 1943. En 1942-43, ce groupe avait joué un rôle très important dans la lutte armée à Paris contre l’occupant nazi.

Une mémoire un temps effacée

Malgré ce rôle important, malgré le symbole fort que représentait le groupe Manouchian, sa mémoire fut minimisée à la Libération. C’était un temps où le gaullisme et le PCF s’étaient partagés la mémoire de la Résistance. Le récit d’une France antinazie ne pouvait pas s’encombrer de la « tâche sombre » de la collaboration à l’extermination des Juif/ves. Partout on baptisa des rues avec des noms « faciles à prononcer ». La mémoire des Juif/ves résistant·es comme celle des résistant·es étranger·es devait se tenir tranquille, tenue à distance par un patriotisme triomphant.

Il fallut 10 ans pour qu’Aragon écrive, en s’inspirant de la dernière lettre de Manouchian, des Strophes pour se souvenir, publiées en 1956 dans Le Roman inachevé. Surtout, la mise en musique par Léo Ferré, qui en fit en 1961 la chanson L’Affiche rouge, mit en lumière ces « amoureux de vivre à en mourir ». Quelques années avant 68, ces paroles parlèrent à une génération avide de retrouver la mémoire des combats du passé.

Une mémoire pour les combats d’aujourd’hui

Cette mémoire retrouvée continue de nous parler avec force. Parce que le combat de ces camarades était avant tout un combat contre le fascisme et la haine de l’autre. Un combat pour la liberté. Et, dans le monde d’aujourd’hui, les menaces qui semblaient appartenir au passé sont revenues hanter notre présent. Alors que, dans nombre de pays, l’extrême droite relève la tête, voire arrive au pouvoir, le combat des FTP-MOI nous rappelle l’urgence de ne jamais accepter le retour de la bête immonde.

Mais aussi parce que l’action de ces immigré·es doit être remise en mémoire pour dire combien l’essentiel n’est pas l’origine des un.es et des autres, mais bien leur communauté de pensée, leurs espérances. Et rappeler qu’ils et elles ont été des « étrangers et nos frères pourtant ». Dans la France d’aujourd’hui où des bandes veulent menacer celles et ceux qui viennent d’ailleurs, chassé·es par la misère et les guerres, la mémoire des FTP-MOI est une arme contre le rejet de l’autre.

Enfin, pour nous qui luttons contre l’antisémitisme et tous les racismes, à l’heure où les discriminations s’accentuent, à l’heure où les actes antisémites se multiplient, la mémoire du combat du combat des résistant·es d’origine étrangère est un bien précieux.

C’est pourquoi nous rendons hommage à nos camarades assassiné·es par les nazis :

  • Celestino Alfonso (AR : dont la photo figure sur l’Affiche)), Espagnol, 27 ans 
  • Olga Bancic, Juive roumaine, 32 ans 
  • Joseph Boczov [József Boczor ; Wolff Ferenc] (AR), Juif hongrois, 38 ans 
  • Georges Cloarec, Français, 20 ans 
  • Rino Della Negra, Italien, 19 ans 
  • Thomas Elek [Elek Tamás] (AR), Juif hongrois, 18 ans 
  • Maurice Fingercwajg (AR), Juif polonais, 19 ans 
  • Spartaco Fontanot (AR), Italien, 22 ans 
  • Jonas Geduldig, Juif polonais, 26 ans 
  • Emeric Glasz [Békés (Glass) Imre], Juif hongrois, 42 ans 
  • Léon Goldberg, Juif polonais, 19 ans 
  • Szlama Grzywacz (AR), Juif polonais, 34 ans 
  • Stanislas Kubacki, Polonais, 36 ans 
  • Cesare Luccarini, Italien, 22 ans 
  • Missak Manouchian (AR), Arménien, 37 ans 
  • Armenak Arpen Manoukian, Arménien, 44 ans 
  • Marcel Rajman (AR), Juif polonais, 21 ans 
  • Roger Rouxel, Français, 18 ans 
  • Antoine Salvadori, Italien, 24 ans 
  • Willy Schapiro, Juif polonais, 29 ans 
  • Amedeo Usseglio, Italien, 32 ans 
  • Wolf Wajsbrot (AR), Juif polonais, 18 ans 
  • Robert Witchitz (AR), Français, 19 ans

Paris, le 15 février 2024

Le Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes (RAAR)