10 ans après les crimes de Merah : « Les symptômes d’une libération de la parole antisémite »

Le 19 mars 2012, le djihadiste Mohammed Merah tuait quatre personnes, dont trois enfants, devant l’école Ozar-Hatorah. Dix ans plus tard, la haine des juifs n’a pas disparu. Elle a même été ravivée par la pandémie, alerte le militant antiraciste Albert Herszkowicz.

Entretien Publié le Mercredi 16 Mars 2022 par Alexandre Fache


 

Un tiers des actes racistes recensés en France visent des juifs, alors qu’ils ne représentent que 1 % de la population. Pour marquer les 10 ans de la tuerie dans l’école Ozar-Hatorah, à Toulouse, une marche a été organisée à Paris, dimanche 13 mars, à l’appel du Réseau d’actions contre l’antisémitisme et tous les racismes (Raar). Entretien avec son porte-parole.

Debat 13 Mars 2022 Albert HerszkowiczDix ans après les crimes de Mohammed Merah, où en est  l’antisémitisme  en France ?

Les métaphores antisémites sont toujours là, elles ont même été ravivées par la crise du Covid. Certains manifestants anti-passe sanitaire ont collé sur eux des étoiles jaunes. On a vu aussi ressortir le slogan « Qui ? », aux sous-entendus notoirement antisémites, ou encore Alain Soral présenter la pandémie comme le résultat d’un « complot juif ».

La campagne électorale a aussi donné lieu à des dérapages graves : Éric Zemmour tentant de réhabiliter Pétain ou fustigeant l’inhumation de victimes de Merah en Israël ; Valérie Pécresse reprenant à son compte l’expression « Français de papier », sans forcément être consciente, d’ailleurs, qu’il s’agit d’un stéréotype antisémite ; ou encore Jean-Luc Mélenchon jugeant que « Zemmour n’était pas antisémite » parce qu’il « reproduisait les traditions liées au judaïsme », propos qu’il a regretté ensuite…

Ces tueries ont-elles constitué un tournant ?

En tout cas, c’était la première fois depuis longtemps que des enfants étaient tués non par ­accident ou dommage collatéral, mais pour ce qu’ils étaient, juifs. Pourtant, cela n’a pas profondément interpellé la société française. Quand l’antisémitisme vient de l’extrême droite, la réaction est plus simple, et très forte, comme après la profanation du cimetière juif de Carpentras (1990). Mais quand les phénomènes sont plus complexes, ou que l’assassin a pu être victime lui-même de racisme, il y a comme une retenue. Certains ont voulu comprendre les motivations de Merah, d’autres ont avancé l’idée que ces attaques avaient été menées pour venger les enfants palestiniens. Pire, certains ont crié au complot pur et simple.

Pourquoi avoir lancé le Raar, début 2021 ?

Pour ne pas laisser ce terrain-là à la droite. On s’est donc interrogés sur les difficultés, parfois, qui existent à gauche pour dénoncer les crimes antisémites et leur spécificité. Pourquoi cette gêne ? Comme si les juifs étaient forcément des dominants, avec du pouvoir, et que cette position justifiait qu’ils soient attaqués…

D’où vient cette hésitation ?

Elle a des précédents dans l’histoire. Au moment de l’affaire Dreyfus, la gauche a beaucoup hésité à défendre ce capitaine grand bourgeois, avant que Jaurès et d’autres ne la projettent dans ce combat.

Plus près de nous, les manifestations consécutives aux attentats de janvier 2015 étaient d’abord une réponse à l’émotion créée par la tuerie à Charlie Hebdo, plus que par celle de l’Hyper Cacher, souvent présentée comme une simple « prise d’otages »… Idem après le meurtre de Mireille Knoll, en 2018, qui a suscité la réaction de la communauté juive, mais pas vraiment de la société française. C’est un problème politique sur lequel pèse, bien sûr, la situation au Moyen-Orient.

Quelles évolutions avez-vous perçues depuis dix ans ?

Il y a eu des améliorations. Le simple fait d’avoir pu créer le Raar est le signe qu’une partie de la jeunesse s’interroge sur ces questions, comme d’ailleurs des organisations comme la FSU ou Solidaires. En revanche, il y a des reculs. Que Zemmour séduise malgré son discours antisémite, c’est le symptôme d’une libération de la parole antisémite.

Parole qui a trouvé dans le Covid un terrain d’expression idéal avec le retour du stéréotype du « juif empoisonneur ». En 1348, lors de l’épidémie de peste noire en Europe, les juifs avaient été accusés d’avoir empoisonné les puits. Sept siècles plus tard, des dessins ont montré Agnès Buzyn dans la même position… La fusion entre complotisme et antisémitisme est l’évolution la plus marquante et la plus inquiétante de la dernière période.