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Antisémitisme chez LFI. Réponse à celles et ceux qui ne voient pas le problème

[Ce texte a été rédigé pour l’essentiel avant le 7 juillet 2024. Nous avons différé sa publication car il nous semblait important de concentrer tous nos efforts militants sur la lutte contre l’extrême-droite lors de la campagne électorale]

Le programme du Nouveau Front Populaire prône la lutte contre l’antisémitisme, tous les racismes, les discriminations. Si celles et ceux qui l’ont rédigé ont estimé nécessaire de traiter cette question, c’est qu’elle se pose non seulement dans la société, mais aussi à gauche… et au sein de LFI.

Il est ainsi surprenant, voire choquant, que quelques dizaines de militant·e·s de gauche, dont certain·e·s sont des intellectuel·le·s et universitaires, publient une tribune expliquant que le problème de l’antisémitisme chez LFI, s’il existait, serait certes considérable…, mais qu’il ne se pose pas.

Dans ce qui suit, nous allons d’abord explorer la méthode des auteurs/trices avant d’indiquer quelques éléments qui démontrent que la dérive antisémite a aussi touché LFI, mais pas qu’elle.

LFI ne serait pas touchée par l’antisémitisme… parce qu’elle l’affirme !

Toute une partie de l’ « argumentation » des auteurs/trices de cette tribune consiste à démontrer « pourquoi » LFI se voit accusée (à tort) d’antisémitisme : sans fondements, ces accusations seraient en réalité une « infamie politique » utilisée par le pouvoir et l’extrême-droite afin de criminaliser une partie de la gauche et le soutien au peuple palestinien. On connaît la chanson. Certes, on voit bien comment l’accusation d’antisémitisme a pu être une arme mobilisée par les forces réactionnaires contre la gauche ces dernières années. Mais pour que cette arme soit crédible, il faut qu’elle repose sur des réalités. Or, ce sont ces réalités que les auteurs/trices de la tribune se refusent à examiner sérieusement.

Alors que les citations problématiques de Mélenchon abondent, et cela bien avant le 7 octobre 2023, ils et elles n’en retiennent que trois, pour ensuite les vider de leur signification. Prenons celle du 28 octobre 2021, qui concerne Eric Zemmour. Contrairement à l’affirmation du grand rabbin de France, qui avait déclaré que Zemmour était « certainement » antisémite et « évidemment » raciste, JLM affirme que Zemmour « ne doit pas être antisémite ». En revanche, le chef insoumis n’a aucune hésitation en ce qui concerne son racisme, qui s’exprimerait dans son rejet de la « créolisation ». Ce rejet, JLM le rapporte à « des traditions qui sont beaucoup liées au judaïsme »2. Nos auteurs/trices ne retiennent dans cette formulation que la conception du judaïsme suggérée par l’insoumis, et pas l’idée impliquée selon laquelle les traditions juives seraient hostiles au vivre ensemble avec d’autres3. On voit pourtant les conséquences d’une telle déclaration.

Sur Israël-Palestine, l’article exonère LFI de tout problème, notamment sur l’après 7 octobre, moment où LFI a été parfois totalement à côté de la plaque. Ce mouvement a d’abord tergiversé sur le caractère terroriste de l’attaque, et n’a jamais voulu reconnaître l’aspect antisémite de l’événement. A propos de ce qui se déroule à Gaza depuis des mois, qui nous fait frémir d’horreur et que toute la gauche condamne, nombre d’insoumis·e·s font courir le bruit que des dirigeant·e·s de la gauche soutiendraient en fait le gouvernement d’extrême-droite israélien. Et comme par hasard, l’un d’entre eux s’appelle Glucksmann, un autre Guedj … 

Enfin, et ce n’est pas le moins ridicule, l’article reprend l’argument tiré de la sphère judiciaire selon lequel il n’y aurait pas de problème d’antisémitisme chez LFI dans la mesure où le leader et son mouvement n’auraient jamais été condamnés par la justice, ni pour racisme, ni pour négationnisme. C’est se moquer du monde. L’antisémitisme diffusé aujourd’hui est largement indétectable par les radars de la justice, et les condamnations en la matière sont extrêmement rares. Tout un chacun sait bien que, pour faire condamner un individu ou un groupe pour racisme au titre de la loi de 1972, il faut des déclarations semblables à celles des années 1930. Mais aujourd’hui les saillies à la Céline ne sont plus possibles et c’est un antisémitisme souvent indétectable par les radars de la justice qui est diffusé.

L’antisémitisme existe dans la gauche, nous l’avons rencontré

Si les radars de la justice (et de nos auteurs/trices) ne peuvent reconnaître l’antisémitisme diffusé ou suggéré par les propos de Mélenchon, les nôtres l’ont fait et prouvé. L’article d’Olia Maruani paru en 2021 sur le site Golema4 avait relevé une série de dérives du chef des insoumis·e·s. Depuis, le RAAR (Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes) s’est vu contraint de communiquer à de multiples reprises à ce sujet.

Quelques exemples de dérives. En juillet 2020, interrogé par une journaliste de BFMTV à propos des violences policières dans les manifestations de Gilets jaunes (« Est-ce que les forces de l’ordre doivent être comme Jésus sur la croix, qui ne réplique pas ? »), Mélenchon a cette réponse bizarre : « Je ne sais pas si Jésus était sur la croix, mais je sais qui l’y a mis : ce sont ses propres compatriotes », reprenant ainsi un des plus vieux thèmes antisémites, celui accusant les Juif/ves d’être le « peuple déicide ». A la veille du 12 novembre 2023, critiquant la manifestation de ce jour là contre l’antisémitisme, JLM explique que vont s’y rendre les complices de ceux qui assassinent à Gaza ; comme beaucoup de Juif/ves y étaient, on peut comprendre qu’ils et elles sont les complices de Netanyahou. A un moment où les actes antisémites explosent, le chef de LFI souffle sur les braises au lieu de calmer le jeu, et désigne des bouc-émissaires. Enfin, dans les dernières semaines de la campagne des européennes, on a eu droit à un florilège, de l’action du président de l’université de Lille comparée à celle d’ Adolf Eichmann à la diatribe à tonalité antisémite contre le député Jérôme Guedj5. La déclaration qui a le plus frappé les esprits et fait prendre conscience largement de la dérive en cours est celle présentée le 2 juin dans un texte du blog de Mélenchon6, qui évoque un antisémitisme « résiduel » en France7. Et ce bref exposé ne représente qu’une partie des turpitudes du chef LFI.

Cela signifie-t-il que l’ensemble de LFI soit antisémite ? Le RAAR n’a jamais formulé une telle accusation.

Mais force est de constater que Mélenchon n’est pas le seul de son mouvement à avoir dérivé : plusieurs député·e·s insoumis·e·s l’ont suivi sur ce chemin indigne. Nombre de militant·e·s et de cadres du mouvement se précipitent ainsi pour le défendre sur les réseaux sociaux, par pur réflexe, sans s’interroger sur le fond du problème.

Certain·es responsables du mouvement ont cependant nettement pris leurs distances sur cette question. On sait comment le chef les considère, en partie à cause de ces prises de position courageuses. A Montreuil, où LFI a présenté une candidate contre le député sortant Alexis Corbière, ce dernier a été attaqué dans des affiches anonymes comme soutenant le « génocide » à Gaza et par des graffitis l’accusant d’être aidé par les « medias sionistes ». On pensait l’« antisionisme » stalinien des années 1950 passé de mode. On se trompait.

Contrairement aux dénégations ridicules, nous affirmons qu’il y a eu des dérives antisémites dans la gauche ces dernières années, et pas seulement à LFI. Le nouveau Front Populaire a pris le problème en compte en affirmant la nécessité du combat contre « l’antisémitisme et tous les racismes, les discriminations ». Il faut s’en féliciter et continuer à exercer la plus grande vigilance. Zola parlait de « l’odieux antisémitisme, dont la grande France libérale des droits de l’homme mourra, si elle n’en est pas guérie ». La gauche pourrait en mourir aussi, il faut l’aider à guérir.

Le danger immédiat d’une extrême-droite au pouvoir est repoussé pour le moment, grâce à une belle mobilisation antifasciste de la société civile. Il faut poursuivre la lutte. Le Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes (RAAR) continuera à interpeller l’ensemble des organisations progressistes sur les poisons que constituent l’antisémitisme et tous les racismes, d’où qu’ils viennent.

Paris, le 16 Juillet 2024