L’antisémitisme au service de la guerre de Poutine en Ukraine
Alors que se produit le premier anniversaire de la guerre russe contre l’Ukraine, le RAAR alerte sur la tonalité antisémite des justifications de cette guerre par le pouvoir russe.
Poutine avait déclaré, au moment où il a lancé l’invasion le 24 février 2022, que cette « opération militaire spéciale » visait à « dénazifier » son voisin. Depuis, la propagande russe n’a jamais cessé de dépeindre l’Ukraine comme étant alignée au nazisme, sans pour autant apporter la moindre preuve à l’appui de ces accusations.
La déclaration d’un collectif de spécialistes de la Shoah, du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale, le 27 février, soit trois jours après l’invasion, vaut toujours aujourd’hui. En voici quelques extraits :
« L’attaque russe fait suite aux accusations formulées par le président russe Vladimir Poutine de crimes contre l’humanité et de génocide qui auraient été commis par le gouvernement ukrainien dans le Donbass. La propagande russe présente régulièrement les dirigeants élus de l’Ukraine comme des nazis et des fascistes qui opprimeraient la population locale d’origine russe, qui devrait donc être libérée. Le président Poutine a déclaré que l’un des objectifs de son « opération militaire spéciale » contre l’Ukraine est la « dénazification » du pays.
[…]
Nous rejetons fermement l’utilisation cynique par le gouvernement russe du terme génocide, de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah, ainsi que l’assimilation de l’État ukrainien au régime nazi pour justifier son agression unilatérale. Cette rhétorique est erronée sur le plan des faits, moralement répugnante et profondément offensante pour la mémoire des millions de victimes du nazisme et de ceux qui l’ont courageusement combattu, notamment les soldats russes et ukrainiens de l’Armée rouge.
Nous n’idéalisons pas la société et l’État ukrainiens. Comme tout autre pays, il compte des groupuscules d’extrême droite extrémistes et des groupes xénophobes violents. L’Ukraine doit aussi mieux faire face aux chapitres les plus sombres de son histoire douloureuse et compliquée. Pourtant, rien de tout cela ne justifie l’agression russe et cette manière écœurante de qualifier l’Ukraine. En ce moment crucial, nous nous unissons à l’Ukraine libre, indépendante et démocratique et rejetons fermement l’utilisation abusive par le gouvernement russe de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale comme légitimation de sa propre violence. » (Ce texte a été publié en anglais et en russe avec la liste des signataires le 27 février 2022 dans le Jewish Journal )
Une nouvelle « solution finale » ?
L’utilisation perverse de la Shoah et du nazisme n’a jamais cessé, elle s’est au contraire aggravée. Quelques mois après l’agression de l’Ukraine, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov déclarait le 1er mai 2022 que le fait que le président ukrainien soit juif ne contredisait pas les affirmations de Moscou selon lesquelles cette invasion avait été lancée pour « dénazifier » le pays, en affirmant que même Hitler « avait du sang juif. »
À un journaliste italien qui lui objectait que Poutine ne pouvait pas prétendre que l’Ukraine était à « dénazifier » parce que Volodymir Zelensky, le président démocratiquement élu du pays, était juif, ce même Labrov répétait cette affirmation et ajoutait que « certains des pires antisémites sont juifs ». L’argument, maintes fois démenti par les historiens), des ancêtres juifs d’Hitler comme ayant été à l’origine de son antisémitisme et au meurtre de six millions de juifs est au cœur des théories complotistes.
Lavrov, loin de s’amender, persista dans un communiqué de son ministère : L’histoire connaît malheureusement des exemples de collaboration entre nazis et juifs. » Affirmant que « l’Ukraine, soit dit en passant, n’est pas la seule dans ce cas », le ministère des affaires étrangères russe élargissait l’accusation au président letton, Egils Levits, lui reprochant d’avoir également des sympathies nazies, à nouveau malgré ses origines juives.
Lavrov n’en est pas resté là. Il a poursuivi son escalade par une nouvelle diatribe contre les démocraties occidentales, qui, en soutenant l’Ukraine, se seraient lancées dans une « solution finale à la question russe », comparable à l’extermination des juifs d’Europe par le régime nazi, déclarant: « Tout comme Hitler a mobilisé et conquis la plupart des pays européens pour les lancer contre l’Union soviétique, aujourd’hui les Etats-Unis ont monté une coalition » dont l’objectif serait le même, la « solution finale à la question russe. Tout comme Hitler voulait résoudre la question juive, désormais les dirigeants occidentaux disent sans ambiguïté que la Russie doit subir une défaite stratégique ».
Les provocations du ministre russe des affaires étrangères s’inscrivent dans un contexte de harcèlement d’État à l’encontre des institutions juives de Russie Ainsi le grand rabbin de Moscou, Pinhas Goldschmidt, a été contraint de s’exiler pour avoir refusé de soutenir l’invasion de l’Ukraine, qu’il qualifiait de « catastrophe pour la Russie et pour les juifs russes ». Il avertit publiquement : “La vie va devenir impossible pour les Juifs de Russie. Lorsque nous regardons l’histoire russe, chaque fois que le système politique était en danger, vous avez vu le gouvernement essayer de rediriger la colère et le mécontentement des masses vers la communauté juive et il ajoutait : « Nous l’avons vu à l’époque tsariste et à la fin du régime stalinien. » Il appelle d’ailleurs les Juifs de Russie à « partir tant qu’ils le peuvent »