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Gael Giraud

Quand le chercheur Gaël Giraud plonge dans le conspirationnisme antisémite, puis se rétracte…partiellement

Gaël Giraud est économiste, directeur de recherche au CNRS et prêtre jésuite. 

Il a été depuis quelques années mis en avant dans les médias comme une nouvelle figure intellectuelle à gauche. 

Or, dans ​une ​interview-débat ​au média ​Thinkerview, diffusée notamment sur Youtube et ayant souvent une audience importante du 23 octobre 2022 consacrée au thème « La crise financière : la descente aux enfers ? » (https://www.youtube.com/watch?v=n7oj2m8B0iM), il a tenu des propos conspirationnistes et antisémites. 

Gaël Giraud dit ainsi au cours de ce débat (vers 23 mn 15 s) : 

« David de Rothschild est un homme tout à fait honorable, mais qui a aussi une revanche à prendre sur les nationalisations de 1981, et qui lui a un grand projet on pourrait dire eschatologique, qui vise la fin des temps, qui est la privatisation absolue du monde et la  « médiocrisation », si je puis dire, de l’État. De manière qu’un traumatisme comme les nationalisations de 1981 ne soit plus possible. »

Et il ajoute peu après : 

« C’est mon point de vue sur une information qui circule à Paris. Et donc Emmanuel Macron d’une certaine manière est le porte-flingue, si je puis dire, de David de Rothschild. Donc il est un petit peu comme les enfants soldats au Congo, des enfants qui sont capables de tout… les enfants soldats au Congo, la première chose qu’on leur demande c’est d’aller tuer leurs parents pour être sûr qu’ils ont brûlé tous leurs vaisseaux, et qu’ils sont prêts à tout. Donc d’une certaine manière je crois que la personne d’Emmanuel Macron, sur laquelle on est très focalisés, n’est pas très intéressante. C’est un garçon qui exécute un programme qui lui est dicté par d’autres, notamment David de Rothschild, un programme qui est la privatisation du monde et la destruction de l’Etat social. C’est ce que j’observe. »

Sous une forme apparemment​ modérée (« un homme tout à fait honorable »), il déploie à nouveau le fantasme impénitent du conspirationnisme antisémite autour du nom de « Rothschild », dont le sociologue Pierre Birnbaum a montré dans son livre de 1979 Le peuple et les gros (réédité en 2012 sous le titre Genèse du populisme) qu’il remonte à 1830.

Dernièrement, c’est lors de la campagne présidentielle de 2017, puis au cours du mouvement des « gilets jaunes » initié en octobre 2018, que ce fantasme a repris de la vigueur, dans les discours d’extrême droite, mais aussi, malheureusement, dans des fractions se réclamant de la gauche. 

Pour Gaël Giraud, il y aurait un « projet » caché, un complot, « eschatologique » qui « vise la fin des temps », orchestré dans l’ombre par « Rothschild ». Et bien sûr, dans cette imaginaire complotiste et antisémite digne du Protocole des Sages de Sion, le banquier juif manipule en secret la sphère du pouvoir, à savoir Emmanuel Macron, qui lui, « exécute un programme qui lui est dicté par d’autres, notamment David de Rothschild ». 

Par ses propos, Gaël Giraud dote de la double légitimité du CNRS (dont il est directeur de recherche) et d’un ordre religieux (la Compagnie de Jésus, dont il est prêtre) une rhétorique antisémite historique largement banalisée, dans un contexte où elle reprend de la vigueur, et cela sans avoir besoin d’utiliser une seule fois le mot « Juif » ce qui devrait nous amener à réfléchir et à faire preuve d’une vigilance renforcée. Nombreux d’ailleurs sont ceux qui ne voient pas ou prétendent ne pas percevoir l’antisémitisme de ses propos. 

Par ailleurs, celui qui est présenté dans certains médias comme une nouvelle figure intellectuelle confond des rumeurs qu’il présente comme des faits (« une information qui circule à Paris »), des faits  prétendument observables (« ce que j’observe »), et ne répugne pas à se lancer dans des comparaisons hasardeuses sur « les enfants soldats au Congo »…

Comment se fait-il que l’on n’ait pas entendu la direction du CNRS sur une question aussi grave, qui souille la recherche française ? L’ordre des Jésuites a, quant à lui, été plus clair.. La Province jésuite d’Europe occidentale a ainsi, le 28 octobre 2022 (voir leur publication sur twitter), fait « savoir qu’elle condamne ces propos outranciers », en précisant que « les mots utilisés renvoient à des références antisémites qu’elle condamne fermement ». Elle appelle alors à une vigilance particulière « dans un contexte d’antisémitisme élevé en France ».

Gaël Giraud a lui-même fini par présenter ses « plus sincères excuses » quant aux passages concernés sur Twitter le 28 octobre 2022 (voir son tweet). Il est bon de reconnaître ses erreurs, et en matière d’antisémitisme, c’est rarement le cas. 

Toutefois, sa prise de conscience apparaît partielle et ne laisse guère présager une vigilance sans faille à l’avenir quant au conspirationnisme. Car selon lui, moins que ses propos eux-mêmes c’est « la manière dont ils peuvent être utilisés, qu’ils pourraient être détournées en vue d’alimenter un imaginaire antisémite nauséabond ». Il regrette leur potentielle instrumentalisation, mais ne condamne pas sa vision tronquée lui permettant de les tenir. À le lire, le problème ne vient donc pas de lui, mais des autres. Et pas un mot sur la rhétorique des manipulations cachées, qui, associée à la banque et au nom de « Rothschild », constitue un boulevard pour l’antisémitisme. Il est même dans la dénégation quand il écrit : « Il n’y a nul complot dans les faits que j’ai décrits », remettant ainsi le couvert quant à de prétendus « faits » !

 A la veille de son communiqué d’excuses, Guiraud tweete ainsi : « il ne faut en aucun cas exploiter l’idéologie du privé pour tenter de ressusciter un quelconque antisémitisme associé à un prétendu pouvoir occulte de la finance », or c’est pourtant ce qu’il a lui-même fait. 

Mais surtout, au delà de l’injonction (« il ne faut »), c’est au contraire par une compréhension du conspirationnisme antisémite que, collectivement, nous lutterons contre ce qui est un poison contemporain, qui n’a pas besoin d’être « ressuscité ». 

Enfin, Gaël Giraud ne demande pas pour l’instant la suppression des passages incriminés sur Thinkerview. Or, le 1er Novembre 2022 à 20h, le débat   avait déjà atteint 1 million de vues sur YouTube. Le conspirationnisme antisémite des propos de Gaël Giraud continue donc son chemin dans l’espace public, sans que les excuses de ce dernier ne l’arrête.

D’autant plus que ces excuses sont interprétées et critiquées par les personnes les plus perméables au conspirationnisme antisémite comme étant le signe d’une « soumission » au « pouvoir juif » (le trope antisémite de « lobby juif » étant le plus répandu dans les sphères conspirationnistes). Des propos de nature conspirationnistes et antisémites, de même nature que ceux tenus par Gaël Giraud ont des conséquences néfastes à plus long terme sur la vision du monde et de la place des Juifs en particulier. 

Ce cas d’école est malheureusement symptomatique d’une offensive air confusionniste, où conspirationnisme et antisémitisme prospèrent de concert. 

Ceux qui à gauche ont passé du temps ces dernières années à relativiser et à minorer le complotisme et l’antisémitisme, voire à mettre en cause leur critique, en ce qu’elle serait une prétendue arme de disqualification de l’anticapitalisme, devraient urgemment prendre conscience des dégâts qu’ils ont contribué à générer. Combien de soi-disant dérapages seront nécessaires pour enfin comprendre que la complaisance à l’égard de théories du complot antisémites constitue un véritable poison, mettant en cause  l’horizon émancipateur historiquement porté par la gauche ?

Avec le Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes, nous menons plus que jamais le combat contre la propagande raciste et antisémite, d’où qu’elle vienne. 

Le 3 Novembre 2022