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Julien Théry: entre déni, complaisances et normalisation de l’antisémitisme

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Table des matières

Introduction
1. Le mythe déicide : un refus du contexte historique
2. « La juiverie internationale » : une ironie qui masque un imaginaire dangereux
3. Un article niant l’existence même d’un antisémitisme de gauche
4. Un post complotiste sur une prise de contrôle juive le 22 octobre 2025
5. Une image explicitement antisémite : une ligne clairement franchie

5.1 Le timing n’est pas cohérent

5.2 La symbolique de l’image

5.3 Le “meme” est intrinsèquement antisémite, indépendamment de tout contexte

5.4 Le compte d’origine (“muslimmemegirl”) diffuse régulièrement des contenus explicitement antisémites

5.5 Les “excuses” de Julien Théry sont trop partielles et biaisées

5.6 Cet épisode ne peut être compris indépendamment du reste : il confirme un système


6. Florilège de partages aux relents antisémites sur le groupe Facebook « La Grande H »
Notes

Introduction

Plus de 1 000 universitaires, élu·es et militant·es ont pris publiquement la défense de Julien Théry, médiéviste et enseignant à Lyon II, dans une tribune intitulée « Contre un maccarthysme à la française : pour tous les Julien Théry à venir.» [1]

Les signataires contestent les griefs retenus contre lui ainsi que la suspension dont il fait l’objet, après la diffusion d’une liste de personnalités — très majoritairement juives — à boycotter.


Cette tribune ne se contente pas de dénoncer sa suspension en mettant en avant la défense des libertés académiques et le rappel du cadre réglementaire des procédures disciplinaires ; elle reprend et valide les thèses que Théry avance dans « Antisémitisme de gauche : la grande fake news », extrait de son ouvrage paru en octobre dernier.


Il importe de revenir sur les questions soulevées par la diffusion de cette liste, ainsi que par les récentes révélations concernant les publications partagées par Julien Théry : posts ouvertement antisémites, contenus émanant d’auteurs antisémites tel Paul-Eric Blanrue, ou encore relais d’éléments de pensée dieudonniste.
À cela s’ajoutent les innombrables posts antisémites — ou faisant l’éloge de Dieudonné et Soral — présents sur le groupe Facebook qu’il administrait, sans modération.


Pris ensemble, ces éléments appellent un examen sérieux, et, pour qui se revendique antiraciste, le devoir clair de les nommer et de les dénoncer.


Le 20 septembre 2025, Julien Théry a publié une liste, initialement diffusée par le Figaro composée de personnalités qui appelant Emmanuel Macron à ne pas reconnaître l’État de Palestine avant la libération des otages et le démantèlement du Hamas.
Il a assorti cette publication d’un commentaire les qualifiant de « génocidaires » et appelant à leur boycott.


Ce terme n’a aucun rapport avec leur démarche — quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir de leur position concernant l’Etat de Palestine (le RAAR s’est pour sa part félicité de la reconnaissance de cet Etat [2]) et revient à exposer publiquement ces personnes, très majoritairement juives, à une accusation infondée, dans un contexte marqué par une montée inquiétante des actes antisémites.


Faire le choix d’exposer ainsi des personnes en les désignant à la vindicte sous l’étiquette infamante de « génocidaires » et en appelant à leur boycott, rappelle des pratiques d’exclusion sociale historiquement dirigées contre les Juifs.
Un historien ne peut ignorer cela.

Mais Julien Théry ne s’est pas limité à cela.
Depuis plusieurs années, il développe une position consistant à nier toute possibilité d’antisémitisme dès lors qu’elle émanerait de la gauche.
Il est même allé jusqu’à ironiser sur ses accusations, considérant que si l’on n’a « jamais été accusé à tort et à travers d’antisémitisme, par des pharisiens dénués de tout scrupule, t’as raté ta vie » [3]. Selon lui, les accusations d’antisémitisme visant certains segments de la gauche relèveraient d’une instrumentalisation par des forces puissantes pour neutraliser la « vraie gauche » Un argumentaire qui, même involontairement, réactive un trope antisémite classique : l’idée de groupes juifs influents tirant les ficelles au détriment du peuple.


Pour mieux comprendre le cadre de pensée que mobilise Julien Théry, il est utile de revenir sur plusieurs exemples significatifs.


1. Le mythe déicide : un refus du contexte historique

Jean-Luc Mélenchon a été accusé d’avoir réactivé le mythe déicide en déclarant que Jésus aurait été mis sur la croix par « ses propres compatriotes » [4].
Cette affirmation est d’autant plus troublante qu’il avait lui-même dénoncé ce mythe en raison des persécutions qu’il a justifiées contre les juif·ves.
Pourtant, Julien Théry a balayé l’accusation en faisant référence au Nouveau Testament.

Figure 1 image à gauche: Il ne reste plus qu’à interdire le Nouveau Testament. image à droite: Quand on pense que le Nouveau Testament est en vente libre !!! (2021-08-30)


Cet argument ignore la longue histoire de l’antijudaïsme chrétien, les violences qu’il a nourries, ainsi que le travail théologique et historique accompli depuis Vatican II.
Un historien ne peut feindre d’ignorer ce contexte.

2. « La juiverie internationale » : une ironie qui masque un imaginaire dangereux

La phrase de Jean-Luc Mélenchon — « l’ennemi, ce n’est pas le musulman, c’est le financier » le 29 août 2021 aux AMFIS [5] a été vivement critiquée notamment sur X par Noémie Issan-BENCHIMOL en ce qu’elle réactive un imaginaire antisémite [6].

Il en va de même lorsqu’il a visé Pierre Moscovici en l’accusant de « ne pas penser français » mais de penser « finance internationale » [7].

Julien Théry a tourné ces critiques en dérision en les comparant à la déclaration de François Hollande « mon ennemi, c’est la finance », qu’il caricature comme si Hollande avait parlé de « juiverie internationale ».

Figure 2 sur « la Juiverie internationale » (2021-08-29)

Cette comparaison omet l’essentiel :

– Hollande visait un système ;

Mélenchon désigne une figure incarnée, historiquement chargée, qu’il oppose explicitement au « musulman », réactivant des oppositions communautaires.

Dans le cas de Pierre Moscovici, il cible une personne juive, réactivant à la fois l’accusation de cosmopolitisme (vieux poncif antisémite, opposé à « l’enracinement national ») et le trope du lien supposé entre Juifs et argent.


Ignorer cela, c’est effacer l’épaisseur historique des mots, alors même que contextualiser les mots est l’exigence première du métier d’historien.


3. Un article niant l’existence même d’un antisémitisme de gauche [8]

Figure 5 « Antisémitisme, la grande fake new »

Dans un article où il prétend démontrer que « la gauche » ne pourrait être antisémite, Théry affirme que si un propos est antisémite, il ne peut pas venir de la gauche puisqu’elle serait, par essence, incompatible avec tout racisme.


Ce raisonnement circulaire évite soigneusement la question simple : certains segments de la gauche produisent-ils aujourd’hui des glissements, stéréotypes ou essentialisations antisémites ?


Refuser d’examiner la possibilité d’un antisémitisme à gauche — au nom d’une identité politique supposée immuable — revient à empêcher toute analyse du réel.


A quel moment devient-on responsable de la reproduction de l’antisémitisme par le déni systématique qui l’entoure ?


Car le déni n’est pas neutre : il est l’un des mécanismes les plus puissants de la persistance des préjugés et de la reproduction des oppressions.


4. Un post complotiste sur une prise de contrôle juive le 22 octobre 2025

Très récemment, Julien Théry a relayé le commentaire de Nadjil Kallisto : « Ça commence comme ça et on se retrouve 65 millions enclavés à Gaza-sur-Brest au nom du Grand Israël ».


Difficile de ne pas saisir la dimension clairement antisémite d’un tel propos, qui fantasme une prise de contrôle juive et un projet d’immigration massive et de domination.

Figure 4 « Les juifs sont présents en France depuis deux mille ans, bien avant les Francs et les burgondes, Ça commence comme ça et on se retrouve 65 millions enclavés à Gaza-sur-Brest au nom du Grand Israël

5. Une image explicitement antisémite : une ligne clairement franchie

Le 19 janvier 2024, Julien Théry a relayé sur son compte Facebook une image provenant d’un compte antisémite représentant une jeune femme blonde, drapeau palestinien à la main, agressée par un personnage portant une kippa ornée d’une étoile de David, vêtu d’un blouson marqué d’une étoile jaune, lui volant son sac « promis par Dieu ».

Figure 5 « God promised me this wallet » (2024-01-19)


Cette image renvoie à la haine judéophobe contre le « peuple élu » et au trope antisémite des Juifves voleurs/spoliateurs.


Ici, il ne s’agit plus d’une ambiguïté ou d’un déni : l’imagerie antisémite est explicite, manifeste, et intolérable.

Julien Théry a tenté de répondre aux critiques en affirmant que le « meme » qu’il a relayé en janvier 2024 serait une erreur de vigilance, un contenu confus qu’il n’aurait reposté qu’en réaction au geste de l’ambassadeur israélien Gilad Erdan, qui avait arboré une étoile jaune lors d’une séance du Conseil de sécurité de l’ONU.

Figure réponse Théry

Cette explication ne tient pas, pour plusieurs raisons objectives.

5.1) Le timing n’est pas cohérent.


L’épisode de Gilad Erdan date du 30 octobre 2023.
Le « meme » relayé par Julien Théry date de janvier 2024, soit plus de deux mois et demi plus tard.
Or, rien dans le rythme de production et de diffusion des memes — généralement immédiat — ne permet d’établir un lien crédible avec l’épisode du 30 octobre 2023

5.2) La symbolique de l’image

L’image ne reprend même pas la symbolique utilisée par Erdan : l’étoile jaune n’est pas portée sur le vêtement en référence au symbole nazi, mais transformée en immense pendentif ostentatoire, sans rapport avec la réappropriation provocante du diplomate israélien.
L’argument d’une « réaction » directe ne repose donc sur aucune cohérence iconographique.

5.3) Le “meme” est intrinsèquement antisémite, indépendamment de tout contexte


L’image rejoue simultanément l’aversion judéophobe contre le prétendu “peuple élu” et le trope du Juif voleur/spoliateur/avide en représentant un personnage explicitement juif avec une kippa et une étoile de David ostentatoire, agressant une jeune femme non juive.


Même replacé dans n’importe quel contexte, le contenu demeure sans ambiguïté possible : c’est une iconographie antisémite classique.

5.4) Le compte d’origine (“muslimmemegirl”) diffuse régulièrement des contenus explicitement antisémites


Un simple coup d’œil aux autres publications du même compte permet de constater le caractère antisémite du compte d’origine est structurel : Plusieurs autres memes issus du même utilisateur reprennent des stéréotypes sur les Juifs (attributs religieux, accusations de vol, arrogance liée au statut de “peuple élu”, ou encore une nazification de Benyamin Netanyahou).


Il est donc impossible de plaider l’erreur isolée ou la confusion malheureuse.

5.5) Les “excuses” de Julien Théry sont trop partielles et biaisées

Il invoque :

– une erreur de vigilance ;

– un meme confus ;

– une « cabale » contre lui ;

– un usage politique de cette critique.


Mais il ne reconnaît jamais :

– le caractère clairement antisémite de l’image ;

– la nature profondément judéophobe du trope mobilisé ;

– le problème systémique dans sa manière d’appréhender la question juive;

– la responsabilité qu’il porte en tant qu’intellectuel, enseignant, historien et figure médiatique.


Ce qui constitue en soi un nouveau déni.

5.6) Cet épisode ne peut être compris indépendamment du reste : il confirme un système


L’affaire du « meme » n’est pas un accident isolé.


Elle s’ajoute à :

– la qualification de personnalités juives de « génocidaires » ;

– l’ironie autour de « la juiverie internationale » ;

– lla défense systématique de glissements antisémites dès lors qu’ils viennent de sa famille politique ; la négation de tout antisémitisme à gauche ;

– lla banalisation ou la minimisation du mythe déicide ;

– lla diffusion de contenus provenant d’influenceurs ouvertement antisémites.

6. Florilège de partages aux relents antisémites sur le groupe Facebook « La Grande H »

Le groupe Facebook “La Grande H” lié à l’émission du même nom, animée par Julien Théry sur Le Média TV est tout aussi révélateur.


Malgré le fait qu’il y ait plusieurs « admins » sur ce groupe, dont Julien Théry lui-même, on y trouve de nombreux partages de contenus ou vidéos de personnalités telles que Marc-Edouard NABE, Paul Eric BLANRUE Dieudonné, ou encore Alain Soral, dont une faisant référence au « talmudosionisme [9].

Le fait que les membres du groupe partagent ces contenus sur cette page, et que les modérateurices dont Julien Thery lui-même [9] n’est pas un accident mais un choix : celui de tolérer, voire de normaliser, des sources connues pour leur antisémitisme ou leur négationnisme.


Cette indulgence envers des personnalités connues pour leur positions pour leurs propos ouvertement antisémites ou négationnistes est un choix assumé: celui de tolérer, voire de normaliser, des sources connues pour leur antisémitisme ou leur négationnisme.

Le RAAR (Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes) ne s’attaque pas aux personnes pour ce qu’elles sont, mais à des actes, des prises de position et des contenus.


Il refuse donc l’idée selon laquelle Julien Théry serait une victime.


Les faits montrent qu’il ne s’agit pas d’une simple maladresse, mais d’une série longue et cohérente de prises de position, de minimisations, de dénis et de complaisances avec l’antisémitisme qui, mises bout à bout, constituent un problème structurel.


Le déni systématique de l’antisémitisme — surtout lorsqu’il émane d’une famille politique qui se pense par définition immunisée contre lui — n’est pas seulement une erreur d’analyse : Il participe, à la dynamique de l’oppression.


Car refuser de voir un préjugé, c’est déjà contribuer à sa perpétuation.

Les véritables victimes, ce sont les Juifs et les Juives qui subissent aujourd’hui insultes, menaces et agressions. Elles et ils ont le droit d’être protégé·es ; nous avons le devoir de nous en donner les moyens.


Reconnaître l’antisémitisme, ce n’est pas affaiblir un camp politique : c’est refuser que l’histoire se répète, et affirmer clairement que la lutte contre tous les racismes ne peut souffrir d’angle mort, d’aveuglement ni de complaisance.

Pour d’autres sources et analyses, nous vous invitons à prendre connaissance de :

✅ L’article des JJR https://juivesetjuifsrevolutionnaires.fr/2025/12/02/non-lantisemitisme-dou-quil-vienne-nest-ni-residuel-ni-une-fake-news/

✅ La recension d’un certain nombre de posts du groupe « La Grande H » par No Pasaran https://nitter.net/i/status/1996359428870914465

✅ puis ici https://nitter.net/i/status/1997274255944540401

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Notes

1. https://blogs.mediapart.fr/en-soutien-julien-thery/blog/011225/contre-un-maccarthysme-la-francaise-pour-tous-les-julien-thery-venir

2. https://raar.info/2025/07/palestine-enfin-la-reconnaissance-par-la-france/

3. https://nitter.net/i/status/1554881431675043845

4. « Ecoutez, je ne sais pas si Jésus était sur la croix. Je sais qui l’y a mis, parait-il, ce sont ses propres compatriotes. » Jean-Luc Mélenchon, 15/07/2020, BFM TV, à 21m40 https://www.youtube.com/watch?v=rhYboHBL9W4&t=1300s

5. https://nitter.net/i/status/1431921057376743425

6.https://nitter.net/noemie_issan/status/1431926943310561282

7. https://www.lemonde.fr/politique/article/2013/03/24/le-derapage-de-melenchon-sur-moscovici_1853400_823448.html

8. https://www.hors-serie.net/antisemitisme-de-gauche-sur-une-grande-fake-news-de-notre-temps/

9. https://nitter.net/i/status/1996359428870914465 puis ici https://nitter.net/i/status/1997274255944540401